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La petite histoire…

Dimanche 28 novembre 2010

 

Mon aventure avec le théâtre commence officiellement en janvier 1993. Mais pour être tout à fait exact, elle a débuté bien avant, à l’époque ou adolescente, j’excellais au lycée dans l’interprétation de rôles, simplement en lisant les textes que nous étudions en classe. Mes camarades riaient gênés, mais probablement émus aussi par l’audace que j’avais ; la prof de français ne me reconnaissait pas. Cela peut paraître anodin, mais comme je n’étais pas très heureuse à l’école, en général, tout au long de mon enfance, je me souviens de ces « bouffées » littéraires comme de vrais moments de liberté et de joie.

Bien plus tard, après avoir rencontré Olivier, mon mari, et après que nous ayons eu deux filles, notre aînée éveilla en nous des inquiétudes car elle traînait très souvent seule dans la cour de récréation, la tête dans les nuages et suçant son pouce. D’abord en maternelle, puis au CP. Nous la trouvions un peu trop inhibée. Me revint en esprit ce qui m’avait aidé autrefois : le théâtre, et au-delà, les histoires, la fiction… Notre fille aînée a ainsi participé pendant une année, à 5 ans, à un atelier théâtre, rue Boyer, d’après mes souvenirs, dans le vingtième arrondissement de Paris. À la fin de l’année, le rôle qu’elle y a choisi d’interpréter fut celui d’un ange, car, disait-elle, les anges ne meurent pas !

C’était une expérience positive pour elle. Et nous, parents, finissions par nous dire que notre fille aînée était un peu bizarre, mais qu’elle le vivait plutôt bien. Notre cadette, beaucoup plus extravertie et combattante que la première, n’avait pas envie d’être en reste. C’est elle qui, par la suite, nous entraîna derrière elle, tentant d’imposer ses mises en scène, ses mises en jeu. Il fallait rebattre les cartes et lui donner la main. C’est ainsi que, principalement sous son impulsion, des petites pièces se montaient à la maison, en partage.

En septembre 1992, nous avons déménagé à la campagne. Du vingtième arrondissement de Paris, où nous vivions très entourés, nous sommes allés nous installer dans le sud Haute-Marne, tout d’abord à Grandchamp, un petit village de 70 habitants. C’était un changement considérable bien que nous recevions très souvent des amis parisiens et leurs enfants, et que la transition a pu ainsi se faire le plus en douceur possible. Mais l’état d’esprit, ne serait-ce que dans la façon d’enseigner dans les écoles, était radicalement opposée à ceux de l’école Vitruve (école expérimentale) ou bien de la maternelle Fontarabie.

Comme à Paris déjà, j’avais plaisir à m’occuper des enfants des autres, aussi. Mon mari et moi avons toujours pensé qu’une éducation ne pouvait être réussie, que si elle pouvait s’offrir en partage. Nos filles ont ainsi largement contribué à accueillir, donner, prêter, échanger avec leurs camarades. Les autres, enfants et parents, nous faisaient grandir, réfléchir, et c’était une joie de voir la confiance s’installer. Nos filles jouèrent rapidement avec les enfants du village, et découvrirent avec nous, un nouvel horizon.

C’est à ce moment, que le maire du village de l’époque, Gérard Curlier, me proposa de monter un petit spectacle avec eux, à l’occasion de l’inauguration d’un ancien lavoir transformé en salle des fêtes et, d’un café, « Le P’tit Crucru ». L’occasion a fait le larron.

La première pièce que j’ai eu envie de monter avec les enfants, fut l’Opéra des girafes, de Jacques Prévert. Avec le recul, je m’aperçois que la musique a toujours tenu une place importante… Nos filles avaient toutes deux commencé à jouer d’un instrument de musique, l’aînée du piano, la cadette de l’accordéon, mais bien sûr, elles ne pouvaient pas encore accompagner le groupe. Aussi, les fis-je chanter à cappella, tous, y compris ceux qui n’en avaient jamais expérimenté la voie.

 Les représentations données furent un succès. Au point qu’à Langres, petite ville de 10000 habitants, on nous demanda d’y donner le spectacle pour les enfants du Centre Communal d’Action Sociale, et les bénéfices, sous forme de dons, furent envoyés à la Fondation Abbé Pierre.

Où en sommes nous…?

Vendredi 27 mars 2009

 Dans beaucoup de familles, les enfants s’essaient au théâtre à temps perdu. Mettre en situation une princesse ou bien un héros, se confronter à des ennemis imaginaires, sous toutes leurs formes, dans des lieux inattendus parfois, se rêver autre ou autrement est bien naturel. Mes enfants ont fait de même et, pour ma part, j’ai toujours éprouvé un très grand plaisir à écouter ce qu’ils se racontaient, à suivre leur imaginaire débridé, libre de tabou mais non dépourvu de morale. 

Avec moi, au théâtre, sur la scène, les enfants peuvent tout dire, tout faire, à condition de le souhaiter, bien sûr, et de se l’autoriser. On y joue le meilleur et le pire. On y a l’occasion d’interpréter un texte, le leur si possible, d’essayer maintes façons de le faire jusqu’à ce que cela sonne juste… Le regard des autres y est essentiel, comme s’il était la condition première pour acquérir ou renforcer la confiance en soi.

Dès mes débuts dans cet apprentissage d’animation, d’écriture et de mise en scène auprès des jeunes, la musique s’est imposée. Des textes, aux chansons intercalées telles des parenthèses au tumulte ou au vide ; des points d’orgue pour montrer, au bout du compte, le trop doux ou le trop dur, tous deux pouvant susciter l’effroi… Je conçois la parole - et la musique - et la musique dans la parole, comme un remède pour que chacun puisse, au sein du groupe, puiser la force nécessaire pour assumer sa singulière trajectoire. Et si le miracle ne se produit pas sous nos yeux, je rassure autant que possible pour établir une relation de confiance, condition préalable à tout partage. À chacun son rythme… à chacun son chant. Au-delà de l’atelier théâtre, la vie continue. Se mettre au diapason n’est pas chose évidente…

Mais c’est bien dans le silence que se joue la force et le pouvoir. La liberté du jeu sur scène s’acquiert au prix d’un « savoir retenir la parole aussi » et la transposer en gestes, en regards, en déplacements…  Et accepter de prendre la parole, c’est aussi lâcher prise, jouer la carte de l’humilité, du risque. Il y a quelque chose d’indécent à s’exposer ainsi, et il faut beaucoup de respect de soi et des autres, l’un ne peut aller sans l’autre.

Depuis toujours, les jeunes ont été une source d’inspiration pour moi, et à leurs côtés, je me fais caisse de résonance. Nous ne sommes pas coupés du monde. Il existe, dans l’air du temps des indices d’espoir, comme un printemps qui s’impose par touches. Et même si c’était l’hiver ! En son sein, je retiens la graine endormie, précieuse, pour l’aider à se libérer en d’autres temps.

Je m’intéresse, dans ce travail d’observateur, d’accompagnateur bienveillant (en tout cas que je souhaite bienveillant), en particulier aux liens existants entre ce qui coule, se heurte ou résiste. Comment passer de ce qui est tu, à ce qui est dit ? De ce que tu dis, à ce que je comprends ? De ce que je comprends à ce que nous voulons nous chanter ? Un gouffre de cacophonies, de dissonances, d’incompréhensions s’ouvre forcément sous les pieds de celui qui a l’audace de revendiquer ce savoir. La vigilance est toujours, en tout temps, de mise. Certes, un savoir-faire peut sauver les apparences, mais tout en représentant beaucoup, il n’est parfois rien de plus qu’un pis-aller. Néanmoins, il permet d’aiguiser son attention, et nos jeunes en ont absolument besoin. Je mets mon savoir-faire à leur service, pour qu’ils puissent par eux-mêmes, détecter les abus ou l’ignorance. Comment les puissants de ce monde nous manipulent-ils ? Comment s’y prennent-ils pour nous convaincre et souvent nous tromper ? Sont-ils vraiment à notre écoute ?  Et même, dans le simple cadre intime, pourquoi dit-on parfois « non », alors qu’on voudrait tant dire « oui », ou l’inverse ? Comment ne pas être victime, mais acteur de sa propre vie ? Comment ne pas être bourreau, mais simplement roseau qui plie au vent ?

Bien que l’expérience de vie de chacun ne se partage pas, je m’efforce de développer ce « travail » citoyen d’auto-protection, d’équilibriste… Suspendue à l’écoute d’un rythme venant du fond des âges, qui nous appartient à tous, et auquel les pulsions de nos cœurs répondent en contrechants…

Entre savoir-faire et art. Le théâtre n’est qu’une perche parmi d’autres.